INTERVIEW – Clowns Sans Frontières, en “mission nez rouge“ depuis 26 ans à travers le monde

Parti du bout du nez d’un clown catalan – Tortell Poltrona – et d’un clown français – Antonin Maurel – au début des années 90, la démarche des Clowns Sans Frontières a fini par essaimer des associations locales d’artistes en faveur de l’accès de tous les enfants au rire et aux loisirs dans 15 pays du monde. Rencontre avec Viviane Poiret, la chargée de communication de Clowns Sans Frontières France.

Par Jerome J.

Bonjour Viviane, merci de me répondre aujourd’hui. Peux-tu présenter ton rôle dans l’association ?

Je suis chargée de communication pour Clowns Sans Frontières (CSF) depuis plus d’un an. Je suis une des trois salariés de CSF, on est une petite équipe. Je suis en charge de la communication et aussi toutes les actions de sensibilisation en France. On a tout un projet chez CSF qui est de sensibiliser le grand public en France aux situations dans les pays dans lesquels on intervient. Voilà donc pourquoi on participe à des festivals ou des événements avec nos parrains pour rencontrer le public.

Pourquoi avoir choisi de travailler chez Clowns Sans Frontières ?

J’ai un cursus à la fois de communication et de développement (entendre ici projets humanitaires visant le développement culturel et économique d’une région ou d’un pays, ndlr) et je trouvais que CSF était une association qui avait une approche très originale du travail de développement culturel et humanitaire, donc qui se démarquait. Mais aussi attentive à avoir un impact sur le long terme malgré la nature un peu éphémère d’un spectacle. Je trouvais qu’ils se posaient les bonnes questions. Comment faire en sorte d’avoir, au-delà du spectacle, un effet sur la situation dans les pays dans lesquels nous intervenons ?

« Je pense qu’une des caractéristiques principales de CSF et qui fait sa force, c’est l’importance du bénévolat […]. On est presque a un million de bénéficiaires depuis la création de CSF. »

Viviane Poiret, chargée de communication pour CSF

Donc par exemple dans le soutien de la création d’écoles de cirque sur place ?

Non, on ne développe pas d’école, mais par exemple les artistes de CSF, quand ils arrivent dans les pays d’intervention, travaillent toujours en lien avec des artistes locaux. Cela veut dire que les équipes artistiques sont composées d’artistes français et d’artistes du pays, ce qui permet à la fois de prendre en compte la culture locale, mais aussi d’avoir un partage d’expériences et de compétences avec ces artistes pour qu’ils puissent à terme prendre en charge eux-mêmes les besoins des enfants sur place. Si je prends un exemple, on est intervenu pendant près de dix ans en Inde et aujourd’hui les artistes indiens ont décidé de créer un CSF Inde et de continuer le projet. Donc nous ne nous y rendons plus.

On travaille aussi avec les travailleurs sociaux qui encadrent les enfants dans les différentes organisations partenaires, pour les sensibiliser à l’importance d’intégrer la culture et la place de l’art dans l’accompagnement de leur public. C’est aussi perpétuer un peu ces approches là. Que ce ne soit pas qu’un spectacle par an quand CSF vient, mais qu’ils intègrent aussi les différents programmes artistiques dans l’accompagnement.

CSF en quelques chiffres, ça donne quoi ?

Je pense qu’une des caractéristiques principales de CSF et qui fait sa force, c’est l’importance du bénévolat. Tous les artistes qui partent avec CSF sont des artistes professionnels, mais qui offrent de leur temps bénévolement. Depuis 26 ans, depuis qu’elle a été créée, c’est 400 artistes qui se sont mobilisés sur les différentes missions. C’est également plus de 165 missions qui ont eu lieu dans 38 pays différents. On est à presque un million de bénéficiaires depuis la création de CSF. Donc cela fait beaucoup d’enfants et de personnes qu’on est allé voir et qui ont pu voir les spectacles de CSF.

Es-tu déjà partie en mission ?

Oui, je suis partie au Sénégal l’année dernière. Selon les pays on a différents programmes. En l’occurrence, au Sénégal c’est un programme auprès des enfants vulnérables, c’est plus un programme de développement. Ce qui veut dire aller à la rencontre des enfants en situation de rue, en particulier les enfants Talibés qui sont envoyés dans des écoles coraniques. Certains marabouts de ces écoles, pas tous bien sûr, les exploitent et les forcent à mendier. En 2020 on va essayer de se rendre, toujours au Sénégal, auprès des enfants privés de libertés donc qui sont dans des centres de détention.

« CSF s’est basé sur la croyance que le rire peut créer un moment en dehors du temps. »

Viviane Poiret, chargée de communication pour CSF

J’avais découvert vos missions au travers d’un bouquin que vous aviez édité à l’époque à l’occasion de votre 10ème anniversaire. On y découvre une association et des artistes authentiques et engagés. Comment a commencé toute cette aventure ?

À l’origine de ce projet c’est un clown catalan, Tortell Poltrona, qui s’était rendu en Croatie dans les années 90 et qui a voulu créer le « Payasos sin fronteras », l’équivalent espagnol. Il a fait appel à son ami français Antonin Morel, qui est aussi clown, et qui créa fin 1993 Clowns Sans Frontières France après une première mission ensemble en Croatie juste après les conflits. C’est une association très familiale au début avec Antonin, son frère Julien, qui est aussi magicien et clown, sa femme, ses parents. Au début c’était une toute petite équipe soudée d’artistes français militants. Il n’y avait pas encore de bureaux, c’était dans la maison de famille dans le 11e arrondissement de Paris. Les premières années, ils sont beaucoup intervenus dans les Balkans, en faisant déjà des partenariats avec d’autres organisations qui faisaient appel à eux.

Au fil des années ça a évolué et aujourd’hui bien sûr que les fondateurs sont encore présents dans le conseil d’administration de l’association. Ces sept personnes sont donc très actives dans le choix des missions, des lieux d’intervention, des directions que prend l’association, etc. Antonin Maurel est parti en mission en 2018 dans les Territoires palestiniens, donc ça continue. D’autres personnes sont évidemment rentrées dans le projet depuis et l’ont enrichi de leurs regards, de leur pratiques artistiques de leurs visions du projet.

Pourquoi le nez rouge marche partout selon toi ?

Au-delà du nez rouge, c’est le clown, c’est un art à part entière. CSF s’est basé sur la croyance que le rire peut créer un moment en dehors du temps et en dehors des moments difficiles que peuvent vivre les enfants ou leur entourage. Le nez rouge et le spectacle en lui même, ce qui peut créer ces moments en dehors du temps et le rire c’est salvateur pour beaucoup. Le clown !

Pour donner envie à des artistes de vous rejoindre, pourrais-tu me décrire le déroulement d’une mission ?

Pour l’organisation d’une mission, c’est ma collègue qui est chargée des missions, qui désigne un·e responsable artistique et un·e logisticien·ne que l’on connaît déjà ou dont on est sûr et qu’il·elle·s vont monter une équipe. Il·elle·s choisissent ensuite des artistes avec qui il·elle·s ont déjà travaillé ou qui connaissent le déroulement d’une mission. On essaie de faire partir de nouvelles personnes aussi sur chaque mission, pour renouveler le collectif de bénévoles. On a une journée de préparation dans nos locaux à Paris, et puis le jour J les artistes se rendent dans les pays d’intervention où ils vont vivre une phase très courte de résidence pour la création du spectacle, entre trois et cinq jours.

C’est très rapide, très intense, il faut tout de suite utiliser les compétences de chacun et les articuler pour créer un spectacle. Ce ne sont pas que des clowns, ce sont aussi des artistes du spectacle vivant : des comédiens, des circassiens, des acrobates, des musiciens, des marionnettistes, etc. Pour chaque pays c’est un spectacle unique en partenariat avec les artistes locaux comme je le disais tout à l’heure. Ce qui permet d’intégrer aussi une dimension culturelle dans le spectacle et de guider un peu le choix artistique qui est fait. Par exemple, il y a des choses qui sont drôles dans des pays et pas du tout dans d’autres. C’est un petit détail, mais il faut le prendre en compte. Il n’y a pas beaucoup de paroles dans nos spectacles, mais quand il y en a cela permet aussi de pouvoir s’adresser au public dans la langue locale.

« Notre source de financement principale c’est le don des particuliers. »

Viviane Poiret, chargée de communication pour CSF

Une fois que le spectacle est monté en très peu de jours, on a une première représentation et les artistes partent en tournée pendant à peu près deux semaines. En général les missions durent trois semaines. Ces tournées se font auprès de nos organisations partenaires. Ce sont des associations soit de protection de l’enfance, soit des ONG internationales implantées sur le territoire. On construit les tournées un peu toutes en fonction des artistes et des besoins locaux, mais on propose régulièrement des ateliers de pratiques artistiques soit à destination des enfants soit à destination des travailleurs sociaux.

Les artistes reviennent bien sûr à Paris et on a un débrief, un temps pour savoir si l’intervention c’est bien passé, moins bien passé… En général les artistes ont besoin de retomber un peu de cette expérience très intense sur si peu de temps. C’est un à deux spectacles par jour, le rythme est assez cadencé avec parfois des heures dans le camion pour pouvoir se rendre au prochain spectacle. Et voilà ensuite au bout de quelque temps ils reviennent vers nous avec leurs retours à tête reposée.

Tout le monde peut aider les Clowns Sans Frontières ?

Oui bien sûr il y a plein de manières d’aider CSF ! Notre source de financement principale c’est le don des particuliers. Ils nous permettent de garantir notre indépendance. En 2018, les dons de particuliers représentaient 37 % de nos ressources. Chaque don compte pour continuer à faire nos missions. On organise des actions de collectes dans différentes villes de France. Notamment en 2019 et 2020, on participe à la tournée de Mathieu Chédid qui est notre parrain. Donc là on mobilise des équipes de bénévoles pour rencontrer son public avant les concerts. On le sensibilise, on lui parle de nous, de notre lien avec Mathieu Chédid et puis on propose un don contre un nez rouge. On est toujours à la recherche de bénévoles sur ces différentes villes, mais on participe aussi à des festivals en France ainsi que d’autres événements. Et puis bien sûr on a aussi quelques personnes qui organisent par eux-mêmes des actions de collectes, par exemple en 2019, une dame en Ardèche qui avait une collection de cartes postales, les a vendues à la fête du village pour CSF. Il y a plein de manières de soutenir CSF, que ce soit des entreprises ou des particuliers, et de manière financière ou par le bénévolat.

On vous laisse continuer le voyage avec la chanson “En piste”, composée pour Clowns Sans Frontières par André Chédid et interprétée par Mathieu Chédid.

Pour participer à la tournée 2020 de -M- c’est par là. Pour donner un peso, un dollar, un euro, ou plus, c’est par ici.


Article : INTERVIEW – Clowns Sans Frontières, en “mission nez rouge“ depuis 26 ans à travers le monde
Réalisation : Jerome J.
Visuel : Thomas Louapre
Photos : Clowns Sans Frontières
, Christophe Raynaud De Lage

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