FREE PARTY – Un phénomène culturel 

L’équipe de Mouvements Libres (aujourd’hui Mouvances Libres) écume les free parties et teknival depuis le milieu des années 90. Il était donc logique d’ouvrir ce premier dossier spécial sur un phénomène culturel qui a contaminé le territoire et bien plus encore…

Par Jean Thomas

Article paru en septembre 2015 dans le magazine Mouvements Libres n°1

États des lieux

Décrié depuis le début du phénomène dans les années 90, le mouvement techno des free parties — ces fêtes sauvages que l’on entend à des kilomètres à la ronde le samedi soir dans nos campagnes, nos forêts et lieux laissés à l’abandon par leur propriétaire — est une culture considérée à part par les autorités. Décrit comme un trouble à l’ordre public, ce phénomène dérange. Ses acteurs se font en général fortement réprimer par les forces de l’ordre et sanctionner par la justice.

Dans les années 90 / début 2000, on découvrait les Heretik. Maintenant ils se disent Insoumis et portent allégeance au drapeau noir des pirates qu’ils arborent fièrement dans presque chacune de leur soirée. La transformation en terribles loups d’une population qui se veut profondément pacifiste est prête à tout dévorer pour un seul objectif : vivre et s’exprimer de façon libre.

Vouloir vivre libre dans le pays des droits de l’Homme et de la liberté d’expression est dorénavant tout à fait paradoxal et pourtant une réalité. A-t-on déjà saisi le matériel d’un artiste peintre ou d’un comédien de rue ? Devons-nous emprisonner les ménestrels qui parcourent nos villes et les empêcher de faire du bruit ? Aujourd’hui, si la question est de savoir si l’on peut saisir du matériel de sonorisation, orchestré par des artistes DJ et producteur de musique, et bien la réponse est oui.

Fête libre ?

On parle de fête libre, mais il faut surtout mettre en avant un état d’esprit. Eux qui organisent et qui participent à ces événements sont généralement avide de vivre en dehors d’un cadre que nous imposent les lois et les réglementations. Il n’y a pas que la musique et l’envie de danser toute la nuit, il y a surtout l’envie de participer à un événement. Où se rencontrent, se mélangent art et culture, dans un climat social riche de sa diversité. Une sorte d’esprit communautaire, que l’on ne peut retrouver nulle part ailleurs, que dans ce type de rassemblement semblable à Woodstock. Reflet de la culture hippie et des libertés dans les années 60.

La fête se veut libre de par son état d’esprit. En réalité elle ne l’est pas. De gros risques sont pris par les organisateurs pour mettre à bien leurs projets de soirées aux courants libertaires. Sauf qu’en amont, ils subissent une surveillance accrue des agents de renseignements, via des écoutes téléphoniques et la surveillance des réseaux sociaux. Avec pour but de s’infiltrer, pendant la soirée, par une intervention musclée et une probable saisie du matériel. Suite à une plainte déposée par la mairie, le propriétaire ou une personne tierce. Ces facteurs vécus comme de la répression pèsent lourdement et parfois avec des conséquences très graves dans le quotidien des organisateurs de free party.

La justice s’acharne

Des amendes record de 191 000 euros, des saisies et des interdictions d’organiser tout événement culturel, des perquisitions, des retraits de permis… Les autorités n’ont jamais été clémentes avec les teufeurs et ont toujours réprimé par la force les organisateurs et participants.

Depuis 2001, la loi Mariani encadre le phénomène de l’organisation de free party sur le territoire. Cette loi restrictive est discriminatoire, car elle place les free parties sur un plan juridique différent des autres événements culturels comme la limitation de la participation à 500 personnes au lieu de 1 500. Néanmoins cette loi avait pour objectif de favoriser un développement à caractère légal de ces événements en forçant les organisateurs à faire des demandes d’autorisation en préfecture.

Depuis, seulement une centaine d’autorisations ont été délivrées, alors qu’il se déroule chaque année en France plus d’un millier de free parties, avec autant de sound systems (groupes de musique) plus ou moins actifs pour les organiser.

Free party ou parcours du combattant ?

Certains sound systems montés en association loi 1901 se sont vu faire de longs dossiers fastidieux pour obtenir des terrains et organiser la logistique avec les différentes institutions telles que pompiers, gendarmerie, associations de prévention et surtout les élus et la préfecture. Même déposés plusieurs fois, ils n’obtiennent jamais de réponse positive. De quoi bien les décourager et leur faire perdre leur temps…

Vincent Tanguy — Président de l’association Arts et Cultures 29 — en charge de l’organisation d’un multison (ici, grande free party organisée légalement avec plusieurs sound systems sur deux jours et deux nuits) nous témoigne son ressenti face à l’organisation d’un tel événement avec autorisations de la préfecture :

« Les fêtes libres ou free parties sont une utopie à laquelle nous avons choisi de croire jusqu’au bout. Nous pensons que nous avons besoin d’affirmer ces valeurs : autogestion, autofinancement et liberté. Dernièrement et après de longues semaines de préparation, nous avons dû reporter un événement, car nous n’avions pas trouvé de terrain dans les délais requis. En plus des annonces presse et celles sur sites internet spécialisés, nous avons déposé presque une cinquantaine de flyers dans tous les commerces de notre département.

Malgré tous ces efforts, on doit reporter la soirée en septembre, et d’ici là, il nous faudra trouver un terrain. C’est vraiment très dur d’organiser un événement légal comme celui-ci, nous nous retrouvons très souvent démunis face à l’absence de réponse et au manque de réactivité des différents services que l’on doit solliciter. Je me rappellerai toujours de la pression vécue lors du multison que nous avions réussi à faire sur un terrain privé appartenant à l’une de nos familles, qui ont subi des menaces de mort et pressions en tout genre…

De nous retrouver devant vingt agriculteurs, de nous dire qu’ils nous connaissent depuis tout petit, qu’ils nous aiment bien, mais attention : “on vous connaît avant ça et vous connaîtra toujours après. Vous et vos familles, vous avez intérêt à bien gérer vos histoires. Sinon, nous n’oublierons pas. On vous prévient les gars, on ne vous ratera pas si vous vous ratez.” Tout cela en m’appuyant fortement sur la poitrine.

Au final, ils sont tous venus, ont apprécié la fête et se sont même excusés. Au-delà des préjugés et des stéréotypes, c’est toute cette pression qu’il faut gérer à tous les niveaux… À se demander si c’est bien la peine de demander une autorisation. Pour moi, organiser une free party légalement se révèle bien plus difficile que de pratiquer le parcours du combattant dans l’Armée de terre. »

La free et la politique

“Aux chiottes la politique” vous diront certains et c’est bien là le reflet qu’exprime ce peuple en marche, que rien n’arrête de danser. Depuis toujours, le mouvement n’est pas politisé, car justement, il s’organise comme un contre pouvoir aux règles et doctrines bien établies. Si la free party faisait de la politique, elle serait obligée de créer son propre parti, car son fonctionnement se veut comme une démocratie réaliste. Sans dieu ni maître, où à chacun à sa place et est écouté.

Dernièrement une élue a posé le débat à l’Assemblée sur le problème des free parties, mais ce n’est pas la première fois que le sujet revient dans l’hémicycle et ne saurait être traité de façon sérieuse par nos dirigeants. Déjà en 2001, Noël Mamère faisait irruption avec des caméras de télévision dans une free party réunissant près de 8 000 personnes (RSKP/Dklé proche de Rouen). Pour soi-disant faire avancer la cause… Puis en 2002, il y a eu Jack Lang, autorisant au dernier moment un grand teknival sur cinq jours aux alentours de Blois, qui de surcroît n’avait pas fait l’objet d’une déclaration préalable. Mais tout cela n’a jamais fait avancer les idées que porte le mouvement. Tous ces beaux discours, qui sont, pour une majorité de teufeurs, assimilables à de la récupération politique.

Pour finir

Plus de 20 ans de répression d’un milieu, d’un mouvement, d’une culture et d’une population profondément française. Dernièrement, on a senti comme une réelle volonté des autorités d’étouffer tout ce qui s’apparente à la techno des free parties, avec la multiplication des procédures. Cela risque de ne pas s’améliorer dans les mois et années à venir aux vues de la tournure des événements politiques qui se trament dans le pays et dans le reste de l’Europe.


Article : FREE PARTY – Un phénomène culturel
Réalisation : Jean Thomas
Visuel : Mouvements Libres
Photos : Graphieteuf, Narkissos, Jean Thomas

Mouvances Libres


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